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CHARLES ISABEY, UN PHOTOGRAPHE QUI NOUS FAIT VOYAGER

Chaque mois, nous interviewons un.e photographe de talent. Aujourd'hui, c'est Amaury Welsch, habitué du noir et blanc, qui nous parle de son art !

# Une âme baroudeuse

Charles Isabey, 35 ans, est responsable de la relation clients dans des pays émergents et travaille avec les data, les réseaux sociaux et de nombreux collaborateurs.

Charles est surtout un photographe passionné depuis presque 15 ans.

Souvent amené à voyager, que ce soit professionnellement ou par choix, il aime surtout “aller à la rencontre du terrain de l’ordinaire”, pour reprendre ses mots. Entre deux escales, il erre ainsi dans les rues et les lieux, avec son “esprit curieux sur les choses quotidiennes”.

Cet entretien a été pour nous l’occasion de rencontrer l’âme baroudeuse de ce photographe attentif, qui se plaît à parcourir régulièrement le monde.

# LA JEUNESSE, PREMIÈRE IMMERSION DANS LES MONDES VISUELS

Fils d’une mère architecte d’intérieur et d’un père qui pratiquait la photographie pour son plaisir, Charles Isabey a eu la chance d’être immergé dans les arts visuels très tôt. En grandissant à Paris, il profite d’une offre culturelle assez variée, qui lui donne rapidement une certaine appétence pour les arts.

J’ai baigné là-dedans depuis que je suis petit, on m’a traîné dans les musées et les expos, on m’a appris le nombre d’or sur les grands tableaux
avoue Charles

Très tôt, il s’intéresse à la photo, initié aux bases par son père avec le Nikon argentique de ce dernier. A 9 ans, on lui offre un appareil photo pour son premier grand voyage avec ses parents, l’Indonésie.

S’il accorde une place importante à la photo, c’est surtout le dessin qui l’anime à l’époque. “J’ai toujours été plus intéressé par le graphisme que par les couleurs. La représentation, les valeurs” admet-il.

Très à l’aise sur le papier, la photographie était pour lui un cadre plus contraignant, “plus intéressant pour être créatif.”

C’est après le lycée, quand il est en prépa, qu’il s’adonne réellement à la pratique photographique. Il se fait d’abord la main avec un reflex numérique. Il nous explique : “Je faisais un peu d’argentique avant, mais j’ai surtout appris avec un reflex numérique, qui m’a permis de beaucoup expérimenter et de développer un style.”

Dans le même temps, il s’intéresse beaucoup à l’histoire de la photographie. En étudiant la manière dont les photographes qu’il appréciait travaillaient la lumière, les contrastes, la composition, les sujets photographiés et le contexte historique, il essaie alors de reproduire et d’appliquer les techniques.

“Entre 16 et 21 ans, j’essayais d’imiter le traitement des photos de Salgado par exemple, avec ses reflets qui sont quasiment argentés. Je traîne mon œil, qui est arrivé à maturité mais jusqu’au bout, je serai en constante évolution”.

Je me suis beaucoup retrouvé dans le noir et blanc, qui est l’essentiel de ce que je fais aujourd’hui. J’aime vraiment le graphisme, la composition, la géométrie, la grammaire visuelle”

conclue-t-il.

# PHOTOGRAPHIER LA VIE, OU COMMENT VIVRE DES EXPÉRIENCES FORTES

La photographie argentique, une manière de voyager

Quand on lui demande pourquoi il fait de la photographie, la réponse n’est pas simple.

La satisfaction d’avoir un cliché bien réalisé, d’avoir eu quelque chose en tête et que le résultat final soit aligné à ce que l’on avait en tête, ça c’est très jouissif

C’est aussi une manière pour lui de faire un pas en arrière, et de se mettre en retrait par rapport à ce qu’il se passe devant lui, “de voir les choses pour ce qu’elles sont”.

“Le filtre va être mis dans le cadrage, dans le traitement que l’on va apporter à l’image au moment où on la prend.”

Charles Isabey n’est pas un reporter de guerre, mais il a eu l’occasion de photographier et d’interviewer des gens dans des conditions difficiles.

“La mémoire altère la manière dont on va se souvenir d’un moment. Cela permet d’enregistrer les choses, de les rendre visibles. La photo, c’est beaucoup d’émotions.

En regardant mes images, j’ai les bruits et les sensations qui remontent, quelque chose de très puissant. Bernard Descamps disait “je photographie pour vivre deux fois”. En appuyant sur le déclencheur, on va faire passer à la postérité un fragment de vie et sublimer un moment très simple du quotidien en fait.

Et c’est ça que je trouve fascinant.” nous confie alors le photographe parisien.

Grandement influencé par Sebastiao Salgado, Eliott Erwitt ou James Nachtwey, il accorde à la dimension documentaire une place de choix, en esthétisant des sujets qui peuvent être difficiles à voir, pour interpeller le lecteur.

“J’aime photographier les gens dans un contexte plus large. Cela permet de donner une échelle à l’individu et un rapport de proportion”. Pour ce photographe originaire de Paris, l’une de ses approches favorites reste celle de Cartier-Bresson : “Un cadre avec une bonne grammaire visuelle en fond, et une personne qui va venir animer ce qu’on a mis dans le cadre.”

# Le voyage, une autre manière de photographier

“Je ne suis pas du tout un photographe de studio, mais alors pas du tout ! Le côté très technique et “guindée” de la photographie de studio ne m’intéresse pas. J’aime que ce soit fluide. Le tir juste.

Je crois que je suis beaucoup plus photographie de rue. Tout ce qui va être graphique, sur de l’architecture, rendre des détails a priori insignifiants intéressants, en les sortant de leur contexte, avec un cadrage qui peut apporter un regard différent sur le quotidien. […]

 

J’aime beaucoup la photographie de voyage et de reportage. Quand je voyage, j’essaie toujours de travailler avec un fil rouge. Je me laisse vraiment porter par l’ambiance, les gens.”
confie-t-il.

Cette approche lui a d’ailleurs permis de travailler comme journaliste pour un groupe de presse indien pendant un temps.

On ne peut pas s’empêcher de vous glisser une de ses expériences ici (quand on vous dit qu’il aime voyager !).

“Le reportage me faisait partir de Calcutta, et j’ai remonté le Gange jusqu’à sa source, au glacier, dans l’Himalaya, où il commence. J’ai fait ça comme un pèlerin – car c’est un pèlerinage pour les Indiens – en documentant les différents enjeux liés à la vallée du Gange.

Cette année-là, il y a avait eu l’une des plus grosses moussons de ces 30 dernières années.

Et il y a dans ce travail une série de clichés assez marquants pour moi.

# Himalaya

Chemin faisant, il finit par arriver au pied de l’Himalaya.

“Il y avait encore 25 km de randonnées, à plusieurs milliers de mètres d’altitude. Le temps ne faisait qu’alterner entre pluie et nuages depuis 3 jours. Il me restait une dernière nuit. Le matin, je me lève tôt et j’entame les 8 derniers kilomètres avant la montagne. “

Et là j’arrive, j’étais tout seul, il n’y avait personne (ce n’était pas la saison où il y avait les pèlerins), et le ciel s’est déchiré pendant 1h30. J’étais à 4500 mètres, le glacier commençait, c’était le bout du voyage. C’était un moment très émouvant. »

# LA CONTRAINTE TECHNIQUE COMME STIMULANT

Un photographe façonné par ses outils

“J’ai un Leica M6 pre TTL avec un x .85 dans le viseur et un 50mm Carl Zeiss Planar qui ouvre à f/2, ce qui est en fait une machine de guerre monté avec un fût en alu bien solide. Il est dans un état incroyable, malgré le genre de traitements que je lui fais subir”.

Pour ceux qui ne le savent pas, cet appareil est équipé d’une mise au point télémétrique, ce qui en fait un dispositif bien différent des appareils photos SLR traditionnels (on vous invite à lire cet article, Rangefinder vs SLR cameras, pour en savoir plus). Si ce type d’appareil permet d’obtenir des photos plus nettes, il est aussi plus difficile à maîtriser.

“Mon premier rouleau, j’avais 3 ou 4 photos qui étaient correctes, même pas bonnes. Ça force à être hyper rigoureux sur le cadrage, la préparation aussi.”

Quand on lui demande s’il ne fait que de l’argentique pendant ses voyages, il confesse : “Je sais que l’on va me tuer, mais les téléphones portables en point & shoot sont quand même très pratiques aujourd’hui, et ont une qualité qui est correcte à partir du moment où on a un cadrage qui est rigoureux.

J’ai toujours un carnet et mon Leica avec moi. Je ne l’utilise pas à chaque fois, mais je l’ai.”

Côté retouche, il n’essaye de ne faire que des retouches qu’il pourrait faire en labo : “les tonalités, la saturation, les contrastes ou le point noir.”

“J’utilise Picture sur Mac, qui est très bien sur ce type de retouches. Je travaille beaucoup avec l’histogramme, qui est très pratique en noir et blanc. Et parfois des recadrages légers, ou remettre l’horizon droit. Je ne vais rien effacer sur la photo.” complète le photographe.

Pour ce qui est de ses pellicules favorites, on retrouve la HP5 d’Ilford pour le noir et blanc, pour ses “noirs profonds” et des photos qui sont toujours “correctement exposées”. En couleur, c’est la Fujifilm Superia qui a ses faveurs grâce à “une tonalité un peu plus chaude sur les lumières rasantes, ce qui donne beaucoup de matière aux endroits où la lumière va être réfléchie dans la photo.”

Et le numérique dans tout ça ?

Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du nombre croissant de personnes qui se mettent à l’argentique, il répond avec le sourire : “Cela fait émerger beaucoup de talents en photographie”.

Pour Charles Isabey, l’argentique est un moyen de se protéger de la prolifération numérique, “une manière pour les gens de sortir du cadre Instagram.”

“J’aime voir que les gens achètent de vieux appareils avec leurs petits défauts – le vignettage, les distorsions – qui donnent beaucoup de personnalités aux clichés que l’on va prendre. Cela construit des photographes qui vont avoir une vision technique.”

Il insiste cependant : “Le numérique est une bonne porte d’entrée pour se perfectionner.”

En effet, au cours de notre entretien, Charles nous explique même que c’est avec le numérique qu’il a fait ses premières armes. Gestion de l’exposition, contrôle de la vitesse et de la luminosité, le numérique reste un outil beaucoup plus flexible pour apprendre, même si l’expérience n’est pas tout à fait la même.

“De temps en temps je refais du numérique, je trouve que c’est génial. J’ai un Nikon 7D avec un 28/105 F4. Superbe appareil, mais très gros et très lourd”

# APPRENDRE À FAIRE CE QUE L’ON AIME

Pour conclure notre entretien, nous lui avons demandé le conseil qu’il aurait aimé qu’on lui donne lorsqu’il a commencé. Et voici ce qu’il nous a répondu :

“Se demander ce qui nous intéresse dans la photo, ce qui nous interpelle. On est bon dans les choses qui nous intéressent. Regardez des photographies qui vous plaisent. Pas forcément des grands photographes, juste ce qu’il vous plaît.

Regardez ensuite ce qui suscite des émotions pour vous. Est-ce que c’est la lumière, le cadrage ? D’avoir un oeil un peu plus critique sur ce qui vous interpelle, pour mieux le comprendre.

Et surtout, ayez toujours un appareil qui puisse capter une image. Avec un téléphone, un numérique ou en argentique.”

Curieux et baroudeur, Charles n’arrêtera probablement jamais de voyager et de nous faire voyager avec lui. Nous tenions en tout cas à le remercier pour le temps qu’il nous a consacré. N’hésitez pas à aller faire un tour sur son compte Instagram pour voir son travail.

On est désolé si cet article est un peu plus long que d’habitude. Il y avait beaucoup à dire, et on trouvait dommage de tronquer toutes ses histoires. Si vous souhaitez voir davantage de ses travaux, et que nous vous partagions certains de ses anciens voyages, dites-le nous sur notre compte Instagram !

Rendez-vous le mois prochain pour une nouvelle rencontre.

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